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La Tunisie et le monde...


La grève des médecins, une étape nécessaire…

Publié par Karim Abdellatif sur 12 Juin 2011, 22:24pm

Catégories : #médecine

La grève des médecins, une étape nécessaire…

Publié dans la page officielle du Syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis.

Un moment historique

Nous nous trouvons à un moment historique pour la défense des droits des internes et des résidents en médecine ! Un moment qui déterminera notre poids futur. Nous avons trop longtemps ménagé la chèvre et le chou. Nous avons été conciliants et, dans la mesure du possible, diplomates. Mais l’heure n’est plus aux vaines palabres et aux discussions stériles avec le Ministère de la Santé Publique.

Notre ministère de tutelle et ses responsables nous ont révélé ce qu’ils étaient prêts à céder suite à la mobilisation nationale des internes et des résidents en médecine : rien ou presque. En haut lieu, on continue donc à se moquer de nous !

Certains veulent semer en nous les graines de la dissension par des mesures et des paroles pernicieuses. Pourtant, sachez-le, l’heure est à l’union ! Nous avons prouvé que nous pouvions dépasser certaines distances : les distances géographiques et les distances entre les internes et les résidents…

Les syndicats d’internes et de résidents en médecine n’appellent pas à la grève pour le plaisir de faire la grève ! C’est une option que nous avons toujours tenté d’éviter, mais, Dieu nous en soit témoin, nous avons été obligés d’y recourir. Les fins de non recevoir successives de la part du Ministère de la Santé Publique nous y ont acculés. Malgré des appartenances à des centrales syndicales concurrentes, les syndicats d’internes et de résidents en médecine des différentes régions ont déclaré à l’unisson, le 31 mai 2011, et ce par un communiqué conjoint, qu’ils appelaient à la grève nationale le 31 mai 2011 et que « en l’absence de réponse favorable à leurs revendications de la part du Ministère de la Santé Publique (et cela, après un délai raisonnable de sept jours), ils seraient amenés à refaire une autre grève de trois jours. En dernier recours, une grève ouverte s’imposerait et le choix de stages serait boycotté. »

Nous rappelons nos revendications :

1. L’abolition de la nouvelle loi relative au service civil (loi n°2010-17 du 20 avril 2010 modifiant et complétant la loi de 2004) et son remplacement par une procédure favorisant le recrutement volontaire de médecins spécialistes, mais aussi généralistes. 

2. La remise immédiate, inconditionnelle et effective du diplôme de spécialisation aux jeunes diplômés.

3. Le déblocage des dossiers des résidents en médecine qui désirent effectuer des stages de perfectionnement à l’étranger, et notamment ceux qui ont déjà eu un accord favorable de la part des services étrangers. Nous attendons une réelle preuve de bonne volonté de la part des doyens des facultés de médecine, mais surtout des responsables ministériels chargés de ces dossiers. […]

La réponse décevante du Ministère de la Santé Publique

Le Ministère de la Santé Publique n’a répondu favorablement qu’au deuxième point, à savoir la « remise des diplômes » aux nouveaux médecins spécialistes.

Nous rappelons à tous que notre syndicat s’est mobilisé dès l’année dernière, avant même que la nouvelle loi sur le service national n’ait été soumise au parlement. Dans un premier temps, nous étions dans le flou le plus total, puisque le projet de loi restait secret et que le peu d’informations qui nous parvenait à son sujet filtrait au compte-gouttes dans les différents médias de la place, et en particulier dans « Assabah », le quotidien de Mohamed Sakhr El Materi. Nous avons pris connaissance du contenu de la loi tardivement, mais nous étions déjà en négociation depuis le début avec l’ancien ministre de la santé publique, M. Mondher Zenaïdi qui nous a reçus plusieurs fois sans toutefois démordre du bien fondé de la loi que présentait le Ministère de la Défense.

Au sujet de l’enrôlement des femmes dans le cadre de la loi 2010-17, M. Kamel Morjane, ancien ministre de la défense nationale avait indiqué « qu’il n’était pas question [alors] de recourir à l’enrôlement des jeunes filles pour l’accomplissement du devoir national, compte tenu des insuffisances constatées au niveau des infrastructures. » Il a ajouté néanmoins « que l’examen de cette question était envisageable et que le ministère adoptera une certaine souplesse en la matière, notamment, à travers la requête qui sera faite aux diplômées en médecine, de travailler dans les zones de l’intérieur du pays, dans le cadre du service national, en collaboration avec le département de la Santé publique. »

Une année et une révolution plus tard, nous en sommes toujours au même point, la « souplesse » en moins. Au début de l’année, Mme Habiba Zahi Ben Romdhane a dit sur une grande chaîne de télévision que les médecins refusaient de s’installer dans les régions de l’intérieur car « il n’y avait pas de salles de cinéma. » Celle qui se présente comme notre « mère » veut imposer sa loi aux résidents en médecine et aux nouvelles promotions de médecins spécialistes : chantage aux diplômes, menace de recourir à la loi 2010-17 relative au service national, propos désobligeants, « guéguerre » médiatique, etc.

Alors qu’elle a effectué des stages de formation au Canada (Université Laval), à Chicago et à l’université de Tokyo, cette grande dame de la médecine tunisienne entend interdire aux nouveaux résidents d’effectuer des formations à l’étranger. Nous sommes conscients de la conjoncture particulière liée à la modification de la politique française à l’égard des médecins non européens. Cependant, si les facultés de médecine et le Ministère de la Santé Publique tunisiens ont des comptes à régler, que cela ne se fasse pas au détriment des résidents en médecine tunisiens.

La loi 2010-17 relative au service national, une nouvelle loi injuste

Concernant la demande d’abolition ou d’abrogation de la nouvelle loi sur le service national (loi 2010-17), cette revendication aura fait couler beaucoup d’encre et de salive, tant dans la vie réelle que sur les réseaux sociaux. La principale accusation formulée à l’encontre des médecins est que ceux-ci refuseraient d’effectuer le devoir incombant à tout citoyen, alors qu’ils ont bénéficié d’une formation universitaire financée en majeure partie par l’Etat. Ce point de vue assez répandu est dû à un manque d’information, voire parfois à une désinformation de la part de certains médias ou instances officielles. Il rejoint, dans un certain sens, l’imaginaire collectif qui considère les médecins comme des nantis et des profiteurs.

Nous, internes et résidents en médecine, ne rejetons pas le service national dans sa forme classique. C’est un devoir national et nous sommes tenus plus que d’autres de l’accomplir, car de lui dépendra notre inscription au Conseil National de l’Ordre des Médecins. Nous 

n’entrerons pas non plus dans le débat absurde consistant à déterminer qui est patriote et qui ne l’est pas. Dans ces temps troublés pour la Tunisie, chacun surenchérit et s’autoproclame révolutionnaire, or nous, internes et résidents en médecine, nous avons simplement continué à effectuer notre travail, y compris dans les heures les plus sombres. Si nous faisons maintenant grève, ce n’est pas pour souscrire à une quelconque mode, mais parce que nous y avons été acculés et que l’on ne nous a pas laissé d’autre alternative.

La loi 2010-17 votée l’année dernière est injuste car elle touche l’ensemble des personnes qui poursuivent leurs études au-delà de 28 ans. Cette loi est assez complexe, mais il est bon de savoir qu’elle prive ces personnes des classiques causes d’exemptions à titre de « soutien de famille ». Pour simplifier, tout tunisien ou toute tunisienne âgé(e) de plus de 28 ans est tenu(e) d’accomplir le service national, sous une forme ou une autre, même s’il ou elle est marié(e) depuis plus de deux ans, s’il est père ou si elle est mère, s’il ou elle a un parent à charge ou si elle est enceinte. Le recours à « l’enrôlement des jeunes filles pour l’accomplissement du devoir national » est une innovation qui se base sur une interprétation tendancieuse du terme « citoyen » (مواطن), considéré comme un terme neutre, à la fois masculin et féminin.

La loi 2010-17 est doublement injuste, puisqu’à notre connaissance et dans les faits, elle ne concerne que les seuls médecins. L’enrôlement des femmes médecins n’est pas fortuit ; il obéit à une logique gouvernementale implacable tenant compte de la féminisation de notre profession.

Mauvais état sanitaire dans les régions et solutions démagogiques

Concernant l’état déplorable de la santé dans diverses régions tunisiennes, nous sommes comme tous les Tunisiens sensibles à ces inégalités. Nous le sommes d’autant plus que nous formons la première ligne qui dispense les soins aux malades. Nous savons que même dans les grands centres hospitaliers, les tensiomètres sont déchirés et rafistolés, que les bandelettes urinaires manquent et que les files d’attente dans les services de radiologie sont interminables. Nous savons que le Tunisien pauvre n’est pas reçu avec la même diligence que le notable, nous savons que les salles VIP existent, et nous connaissons les ravages engendrés par la privatisation de certaines consultations dans les hôpitaux publics.

Il n’est pas de notre ressort d’apporter des solutions à ces « maux de la santé ». Nous ne pouvons, au mieux, que pointer du doigt certains abus et inconséquences, comme des salles de coronarographie laissées à l’abandon, des hôpitaux régionaux où des équipes de chirurgiens se disputent perpétuellement au sujet du seul et unique bloc opératoire d’urgence, des conditions de garde intolérables avec des chambres dépourvues de sanitaires et dont la peinture est moisie. Pour nous faire taire, M. Mondher Zenaïdi, puis Mme Habiba Zahi Ben Romdhane, nous ont promis d’installer Internet dans les chambres de garde ; mais de qui se moque-t-on au juste ?

Quand le ministère tente de contraindre toute une promotion de jeunes médecins spécialistes à s’installer dans les régions de l’intérieur, nous reconnaissons là un abus caractérisé. Si l’état recourait aux seules primes comme moyen d’encouragement, nous ne protesterions pas. Mais les moyens employés ont comporté le chantage, l’intimidation et la diffamation. Ça, nous ne pouvons le tolérer, qu’il s’agisse d’un régime totalitaire ou même d’un régime « en cours de démocratisation ».

Les racines du mal sont anciennes et datent de l’ère bourguibienne, voire du protectorat français. Vouloir tout résoudre en quelques mois est illusoire. Espérer le faire en contraignant une ou deux promotions de nouveaux médecins spécialistes est tyrannique. Faire porter aux médecins tous les torts est malhonnête et blessant.

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