Et maintenant, buveurs, rendons hommage au diable,
Toute la nuit dont un moine annonce la fin.
Ce soir-là, il n’avait pas fait chaud. Le vent soufflait et chacun marchait, pensant à ses petits soucis. Ce n’était ni le soir pour mourir, ni celui pour naître non plus. C’était le prélude à une nuit quelconque, une nuit d’été dans une ville arabe, dans ce monde qui résistait à la modernité tout en la chérissant plus que tout. Cette nuit-là, le silence avait envahi les avenues de la cité à pas de loup. La lune souriait dans le ciel et éclairait les ruelles dont les lampadaires avaient été brisés ou ne fonctionnaient plus. Dans un bistrot de la rue de Marseille, ils étaient une centaine faisant la fête et buvant. Un monde émergeait lentement des effluves du vin et de la bière. Des illusions planaient puis retombaient, la gravité ayant finalement eu raison de leur légèreté. J’étais assis devant une table, scrutant cette foule étrange qui feignait d’ignorer le malaise ambiant. Je pensais à l’Europe, aux Etats-Unis et à leur douceur de vivre. Notre terre était maudite pour deux générations : celle des orphelins de Ben Ali qui adoraient Mammon et celle des enfants naturels d’Ennahdha qui vivaient de mensonge et de rancune. Dans quinze années, cela s’arrangera probablement… Dans quinze années… Dans quinze années… Dans un siècle…